Compagnie Théatre 7
PAROLES

de Jacques PREVERT
 

Les témoignages des spectateurs


Une fois n'est pas coutume, j'entre dans une salle assez grande. Fauteuils rouges et rideaux noirs. Bientôt arrive Michel Boy, tout en noir à la Guy Bedos. Il a les yeux brillants comme un petit garçon espiègle. Je m'attends à quelques facéties. Je ne suis pas déçu. Il entame ses Paroles en parlant des enfants, ceux qui sont sages et ceux qui le sont moins, ceux qui ont de l'esprit, le rire facile. On ne s'ennuie pas en leur compagnie, et je découvre avec eux un rêve de soleil, de vacances. Je voyage sur les mots de l'homme en noir, comme hypnotisé. Je pars pour Paris, dans un premier temps, à la table du Président, à l'Elysée. Les convives, tous déguisés, sont aussi faux que leur hôte. Pas un n'est sensible aux drames qui les touchent, que ce soit la perte d'un enfant ou d'un mari. Ce petit monde est une farce tragique. Les Paroles grincent comme les portes d'une prison. Et je continue mon voyage sur le dos de l'homme en noir. En chemin vers Rome, je rencontre un évêque plus fervent dans son culte à l'alcool que dans sa vocation d'homme d'Eglise. Un chien lui vole sa mitre et fait le pitre avec ses congénères. Vient un veilleur de nuit qui rêve éveillé et m'emmène avec lui à Rome, auprès du Pape récemment élu. Encore une farce. Électorale. Au Vatican, nous croisons notre évêque, Laval, Mussolini, des prêtres espagnols rangés aux côtés de Franco. Où est le cœur, dans tout ça? Sûrement pas chez le Pape, qui parle de bonté, pleure charitablement tant il est convaincu par sa mauvaise foi. Las, mon veilleur de nuit s'en va. Et, loin des mots, il me montre par les actes ce qu'est la bonté : il recueille l'oiseau blessé de la jeunesse. Et nous survolons le souvenir du printemps sacrifié au siège de Madrid, de Séville, de Barcelone. Le soleil est de sang. Et mon veilleur de nuit veille sur ce souvenir. Et gagne mon respect.

 
Sidonie  Kellerer (Passion Théâtre)  

Ce rendez-vous avec Monsieur Prévert, dont les œuvres et le personnage m’avaient beaucoup fascinée, était comme si j’allais voir un certain Tonton du voisinage faire de la prestidigitation confectionnée uniquement avec des mots magiques. Alors, souriante et très curieuse comme un enfant, j’étais à ma place au troisième rang en regardant l’arrivée de ce conteur pour m’emmener dans le monde de l’alchimiste Prévert.
Vêtu tout de noir entièrement accordé avec la couleur des rideaux épais et le plancher en bois, il avait l'air amical et très à l’aise malgré l’absence de la cigarette prévertienne portée dans la bouche. Puis, une fois que ses lèvres s’ouvraient, ses bras se soulevaient, son cou s’étirait, ses épaules se haussaient; j’ai été tout de suite attirée par ce langage du corps et j’ai laissé tomber un moment donné la première histoire racontée, jusqu’au moment où se prononçait la deuxième : "un dîner de tête". Ainsi grâce à ce fameux dîner, (un long poème du recueil "Paroles" ), je me suis plongée dans le voyage avec le Président, et la petite Barbara, et les mouches, et beaucoup de têtes, et le soleil, et tous les ‘ceux qui’.
Mais c’est toujours ce corps, cette tête, ces jeux de physionomie de ce conteur, qui m’ont séduite. En manipulant des scènes l’une après l’autre souvent avec les expressions graves, exagérées par les cris ou les sanglots au début d’une intrigue, légers et indifférents par les grimaces et les rires immédiatement après, ce genre de rythme m’a fait du bien vis-à-vis de cette vie devant soi semblant inévitablement cruelle !
Ce conteur était également à mes yeux complice de la lumière, illuminé tantôt sous une série de lampes blanches, tantôt bleues, puis en même temps blanches et bleues. A partir du moment où brusquement apparaissait une lumière rouge, centrée complètement sur ce narrateur tout noir qui était en train de réciter "la chanson dans le sang", alors je ne voyais plus que ses mains et sa tête, toutes rouges, suspendues dans l’air tout en bougeant; était-ce un fantôme ou ce réel sang répandu ?
Aussitôt que je commençais à sentir l’odeur du sang mélangé à du fer, une jambe me survenait à l’improviste. Enveloppée d’un jean blanc et chaussée d’une basket de marque quelconque, elle s’est placée à travers un siège au deuxième rang, à l’oblique devant moi, tout droit devant le conteur. Comme ça elle m’a accompagnée tout au long du voyage intitulé "la crosse en l’air" avec l’évêque, le chien, le veilleur de nuit, le Saint-Père, le catholique pratiquant ainsi que Mussolini. C’était justement une des jambes de ma jeune voisine dans ce théâtre bien climatisé au milieu du mois de juillet, qui n’arrivait pas à ne pas manoeuvrer son pied chaussé d'une basket, et n’arrêtait pas de le faire trembler! Le tremblement heureusement ne m’a pas beaucoup gênée, car le conteur était là, très énergique, ne manquant pas de salive et couvert d’un peu de sueur, il continuait de raconter l’histoire de tel pape:"les gens qui sont seuls qui n’ont rien à faire et qui font n’importe quoi pour passer le temps;le pape se ronge doucement les ongles machinalement et puis avec son pied il aplatit le tapis qui fait des plis et puis il bâille…" Et ainsi j’ai souri à ma chère jeune voisine et ai failli la saluer.
Bref, si Monsieur le conteur et son équipe pouvaient la prochaine fois, au lieu de traiter seulement les longs poèmes de Prévert, faire jouer également ceux qui sont plus courts et même certains très courts, ce serait encore un autre régal pour moi.
Peijung  Minet    (Passion Théâtre) 


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