Une fois n'est pas coutume, j'entre dans une salle assez grande. Fauteuils rouges et rideaux noirs. Bientôt arrive Michel Boy, tout en noir à la Guy Bedos. Il a les yeux brillants comme un petit garçon espiègle. Je m'attends à quelques facéties. Je ne suis pas déçu. Il entame ses Paroles en parlant des enfants, ceux qui sont sages et ceux qui le sont moins, ceux qui ont de l'esprit, le rire facile. On ne s'ennuie pas en leur compagnie, et je découvre avec eux un rêve de soleil, de vacances. Je voyage sur les mots de l'homme en noir, comme hypnotisé. Je pars pour Paris, dans un premier temps, à la table du Président, à l'Elysée. Les convives, tous déguisés, sont aussi faux que leur hôte. Pas un n'est sensible aux drames qui les touchent, que ce soit la perte d'un enfant ou d'un mari. Ce petit monde est une farce tragique. Les Paroles grincent comme les portes d'une prison. Et je continue mon voyage sur le dos de l'homme en noir. En chemin vers Rome, je rencontre un évêque plus fervent dans son culte à l'alcool que dans sa vocation d'homme d'Eglise. Un chien lui vole sa mitre et fait le pitre avec ses congénères. Vient un veilleur de nuit qui rêve éveillé et m'emmène avec lui à Rome, auprès du Pape récemment élu. Encore une farce. Électorale. Au Vatican, nous croisons notre évêque, Laval, Mussolini, des prêtres espagnols rangés aux côtés de Franco. Où est le cur, dans tout ça? Sûrement pas chez le Pape, qui parle de bonté, pleure charitablement tant il est convaincu par sa mauvaise foi. Las, mon veilleur de nuit s'en va. Et, loin des mots, il me montre par les actes ce qu'est la bonté : il recueille l'oiseau blessé de la jeunesse. Et nous survolons le souvenir du printemps sacrifié au siège de Madrid, de Séville, de Barcelone. Le soleil est de sang. Et mon veilleur de nuit veille sur ce souvenir. Et gagne mon respect.
Sidonie Kellerer (Passion Théâtre)
Ce rendez-vous avec Monsieur Prévert, dont les uvres et le personnage mavaient beaucoup fascinée, était comme si jallais voir un certain Tonton du voisinage faire de la prestidigitation confectionnée uniquement avec des mots magiques. Alors, souriante et très curieuse comme un enfant, jétais à ma place au troisième rang en regardant larrivée de ce conteur pour memmener dans le monde de lalchimiste Prévert.
Vêtu tout de noir entièrement accordé avec la couleur des rideaux épais et le plancher en bois, il avait l'air amical et très à laise malgré labsence de la cigarette prévertienne portée dans la bouche. Puis, une fois que ses lèvres souvraient, ses bras se soulevaient, son cou sétirait, ses épaules se haussaient; jai été tout de suite attirée par ce langage du corps et jai laissé tomber un moment donné la première histoire racontée, jusquau moment où se prononçait la deuxième : "un dîner de tête". Ainsi grâce à ce fameux dîner, (un long poème du recueil "Paroles" ), je me suis plongée dans le voyage avec le Président, et la petite Barbara, et les mouches, et beaucoup de têtes, et le soleil, et tous les ceux qui.
Mais cest toujours ce corps, cette tête, ces jeux de physionomie de ce conteur, qui mont séduite. En manipulant des scènes lune après lautre souvent avec les expressions graves, exagérées par les cris ou les sanglots au début dune intrigue, légers et indifférents par les grimaces et les rires immédiatement après, ce genre de rythme ma fait du bien vis-à-vis de cette vie devant soi semblant inévitablement cruelle !
Ce conteur était également à mes yeux complice de la lumière, illuminé tantôt sous une série de lampes blanches, tantôt bleues, puis en même temps blanches et bleues. A partir du moment où brusquement apparaissait une lumière rouge, centrée complètement sur ce narrateur tout noir qui était en train de réciter "la chanson dans le sang", alors je ne voyais plus que ses mains et sa tête, toutes rouges, suspendues dans lair tout en bougeant; était-ce un fantôme ou ce réel sang répandu ?
Aussitôt que je commençais à sentir lodeur du sang mélangé à du fer, une jambe me survenait à limproviste. Enveloppée dun jean blanc et chaussée dune basket de marque quelconque, elle sest placée à travers un siège au deuxième rang, à loblique devant moi, tout droit devant le conteur. Comme ça elle ma accompagnée tout au long du voyage intitulé "la crosse en lair" avec lévêque, le chien, le veilleur de nuit, le Saint-Père, le catholique pratiquant ainsi que Mussolini. Cétait justement une des jambes de ma jeune voisine dans ce théâtre bien climatisé au milieu du mois de juillet, qui narrivait pas à ne pas manoeuvrer son pied chaussé d'une basket, et narrêtait pas de le faire trembler! Le tremblement heureusement ne ma pas beaucoup gênée, car le conteur était là, très énergique, ne manquant pas de salive et couvert dun peu de sueur, il continuait de raconter lhistoire de tel pape:"les gens qui sont seuls qui nont rien à faire et qui font nimporte quoi pour passer le temps;le pape se ronge doucement les ongles machinalement et puis avec son pied il aplatit le tapis qui fait des plis et puis il bâille
" Et ainsi jai souri à ma chère jeune voisine et ai failli la saluer.
Bref, si Monsieur le conteur et son équipe pouvaient la prochaine fois, au lieu de traiter seulement les longs poèmes de Prévert, faire jouer également ceux qui sont plus courts et même certains très courts, ce serait encore un autre régal pour moi.
Peijung Minet (Passion Théâtre)
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